Figures de l’attachement entravé, loyautés inversées et somatisations sacrificielles
Il existe, dans certaines biographies intérieures et familiales, une souffrance qui ne cherche pas à disparaître. Comme liée à un mode relationnel, transmissible et dupliqué malgré soi. Un symptôme qui ne guérit pas tout à fait, une hésitation au bord du bonheur, une brisure discrète mais récurrente. Non comme accident, mais comme agencement psychique, comme structure silencieuse, transmise parfois de génération en génération. Ce n’est pas de la plainte. Ce n’est pas du caprice. C’est une fidélité. Le complexe d’Althéa la Fidèle désigne ce nouage inconscient dans lequel un sujet entrave partiellement son autonomie ou sa guérison afin de préserver le narcissisme blessé d’un parent ou d’un ascendant construit dans le rôle de soignant.
Il ne s’agit pas ici d’un masochisme, ni d’un besoin de dépendance. Il s’agit plutôt d’une forme de don inversé, d’un acte filial rongé par le"fantasme d'aimer comme il faut". L'enjeu? Conserver une part de sa souffrance pour continuer d’occuper la place d’objet de soin, maintenir une entrave à exister pleinement pour recevoir le don du parent. L'enfant, devenu adulte, a intériorisé que pour que son parent se tienne debout, il doit maintenir le lien dans son économie primitive.
Dans cette dynamique, la guérison du sujet serait vécue, fantasmatiquement, comme une menace : celle d’ôter à l’autre sa raison d’être. L’amour, ici, ne se joue pas dans l’échange fluide, mais dans un cycle de dette et de don bloqué, où l’enfant se fait le garant de la survie psychique de son parent. On retrouve là une configuration proche de ce que certains appellent l’enfant médicament, ou l’enfant-soutien narcissique . Non pas celui qui soigne activement, mais celui qui tombe un peu, pour rester porté.
Ce complexe convoque plusieurs registres théoriques :
Lorsque ce complexe n’est pas traversé, il peut se manifester par :– des somatisations fonctionnelles sans étiologie claire,
– un sabotage discret des réussites,
– une posture d’enfant éternel, aux marges de la vie adulte,
– une intensité émotionnelle maintenue dans le lien de filiation,
– une impossibilité à rompre le contrat implicite avec le parent, même après sa mort.
Le fantasme à l’œuvre n’est pas celui d’un sauvetage ou d’un triomphe oedipien. C’est celui d’une coexistence organisée en silence : ne pas guérir pour ne pas désorganiser l’autre; ne pas décoller loin du nid pour ne pas abandonner le créancier.
Il arrive, dans certains cas, que la somatisation devienne le dernier langage autorisé du lien. Là où la parole manquerait de loyauté, le corps se charge d’être discret, mais fidèle. La douleur devient offrande muette, et l’échec, un gage d’appartenance.
La clinique du complexe d’Althéa la Fidèle invite à une délicatesse. Elle suppose de ne pas hâter la séparation, mais d’explorer ce que pourrait signifier, dans l’économie psychique du sujet, le fait d’aller mieux sans être infidèle. Il s’agit, en somme, de permettre à l’enfant devenu adulte de découvrir qu’il peut être suffisamment bon pour lui-même, sans que cela n’entraîne la disqualification de l’amour reçu. Que le soin reçu puisse être transformé en ressource intérieure, plutôt qu’en prison relationnelle.
Ce travail n’est ni rapide, ni spectaculaire. Il passe souvent par la reconnaissance symbolique du pacte archaïque, par la réparation imaginaire du don non reconnu, et par l’intégration progressive d’une image parentale plus humaine, moins toute-puissante. Ce n’est qu’alors que la fidélité peut devenir présence, et non plus entrave.
Et que la mémoire du lien, loin d’alimenter la douleur, peut commencer à féconder un élan vivant.